lundi 2 octobre 2023

L'Insatiable dans Libération puis au LUFF

 Pour présenter la programmation grecque au prochain LUFF de Lausanne, Agnès Giard s'est entretenue avec L'Insatiable. Une fois n'est pas coutume l'article «Frivolités helléniques», salace grec est en accès libre, mais si cela devait s'avérer temporaire, on vous le recopie ci-dessous. 

Les Suisse auront la chance de re-découvrir deux films des 70s dans des copies 35mm en VF et deux transferts récents de Sans un cri et de The Wild Pussycat publiés par Mondo Macabro. La programmation du LUFF.




Dès 1967, alors que la junte militaire s’impose en Grèce, la production de films porno clandestins explose. Tombées dans l’oubli malgré leur succès à l’époque, quatre de ces œuvres à l’histoire exaltante refont surface au festival du cinéma underground de Lausanne, en octobre.

par Agnès Giard

publié le 30 septembre 2023 à 7h48

«Quand la dictature des colonels a commencé en Grèce, en 1967, les mœurs ont fait l’objet d’une surveillance. Les femmes n’avaient pas droit aux minijupes. Quand elles marchaient dans la rue, il pouvait arriver qu’un policier mesure la longueur entre le bas de leur jupe et le sol, par exemple. Mais comment faire avec les hordes de touristes qui venaient faire du naturisme sur les îles ? Les autorités ont plus ou moins fermé les yeux…» Lors de l’entretien qu’il nous accorde, passionné par son sujet, le Français Jacques Spohr – spécialiste du cinéma d’exploitation grec et créateur d’une revue culte sur ce thème, l’Insatiable – fouille dans une pile de revues anciennes, puis montre les photos d’un reportage en Grèce d’un journaliste français.

Illustré de photos érotiques, l’article, qui date de 1967, s’achève sur l’évocation suggestive des «filles de Neptune», soit les beautés d’Athènes ou de Rhodes qui s’émancipent en portant des bikinis… «À cette époque, dans le contexte de la révolution sexuelle, l’image de la Grèce était celle d’un paradis perdu, avec ses plages peuplées de filles libres et bronzées, explique Jacques Spohr. Les producteurs de cinéma grec ont très vite eu l’idée d’exploiter le filon.»

Punition aussi cruelle que jouissive

On l’a complètement oublié, mais entre 1967 et 1973 environ, parmi les films grecs les plus populaires au monde, beaucoup sont interdits aux mineurs car dénudés ou sulfureux. «La plupart de ces films parlent de sexualité, explique Jacques Spohr. Leurs héroïnes sont souvent des prostituées, oies blanches, nymphomanes ou femmes frustrées confrontées à des séducteurs pervers…» Parmi les gros succès à l’international, il y a par exemple The Wild Pussycat (1970), un film de «viol et vengeance» particulièrement osé pour l’époque : l’actrice principale, Gisela Dali («la Brigitte Bardot grecque» selon Jacques Spohr), incarne une justicière aux allures de mante religieuse.

Débauchée, blonde et implacable, elle kidnappe un proxénète et l’enferme dans une pièce insonorisée, face à une vitre sans tain, afin de le torturer : l’homme assiste à des scènes de sexe, impuissant, en prémices d’une punition aussi cruelle que jouissive. Ce film, projeté au festival du cinéma underground de Lausanne (LUFF, du 18 au 22 octobre), fait partie de la programmation «Frivolités helléniques» dont Jacques Spohr a concocté le cocktail, avec le soutien du label Mondo Macabro.

Raretés du cinéma grec

«L’idée, c’était de rassembler quatre raretés du cinéma grec reflétant l’extraordinaire richesse de cette production, explique-t-il. Car, en dépit de la dictature, ce pays a accouché d’une véritable manne visuelle.» A l’origine de ce succès, un exode rural massif. Dans la Grèce des années 1960, des foules de jeunes campagnards, souvent analphabètes, grossissent les rangs des citadins et se précipitent dans les cinémas, avides de divertissement à bas prix. Comme ils ne peuvent pas lire les sous-titres, il leur faut des films en langue grecque.

«La densité de cinémas par habitant est alors une des plus élevées dans le monde, précise Jacques Spohr. À Athènes, notamment, il y a une quantité astronomique de cinémas en plein air où les gens peuvent se délasser à la fraîche quand la nuit tombe, boire et fumer tout en regardant des projections…» Dans ce pays de cinéphiles, la demande est telle qu’entre 1967 et 1969, une bonne centaine de films sont produits annuellement. Un chiffre énorme, comparé au nombre d’habitants : moins de 9 millions. A la même époque, aux Etats-Unis (pourtant fort de 200 millions d’habitants), Hollywood ne produit plus que 120 à 180 films par an.

Des bobines en rab de scènes explicites

En 1973, cependant, le régime militaire durcit ses positions vis-à-vis du cinéma. La junte des colonels, installée depuis six ans, muselle le pays en misant tout sur la télévision : il s’agit «d’éviter les rassemblements sur la voie publique, raconte Jacques Spohr. Pour ce faire, on isole les citoyens en supprimant les espaces de loisirs collectifs. Les cinémas attiraient trop de monde.» Les autorités serrent la vis, tuant définitivement dans l’œuf la nouvelle vague grecque. Résultat : la production s’effondre, tombant à 40 films par an. Paradoxalement, c’est d’ailleurs le porno – dont l’avènement est marqué par la sortie aux Etats-Unis des films Gorge profonde (Gerard Damiano, 1972) et Derrière la porte verte (des frères Mitchell, 1972) – qui sauve l’industrie du cinéma grec d’une faillite totale.

«Quand la dictature s’effondre en 1974, au box-office du cinéma grec, sept films sur dix sont des films érotiques», résume Jacques Spohr, qui précise que ces œuvres en apparence soft, pour éviter la censure, sont presque toujours vendus avec une ou deux bobines supplémentaires contenant des scènes explicites. «Ces scènes étaient parfois tournées avec des doublures. Les acteurs et actrices ignoraient que le film dans lequel ils jouaient serait projeté au Japon ou au Danemark dans des versions hard-core, truffées d’inserts pornographiques…»

«Matière à fascination»

Dans les années 1970, les exploitants n’hésitent pas à raccourcir des films, ni à les caviarder puis les remonter en piochant dans les bobines de gros plans pornos. Un film est-il trop long ? L’intrigue est charcutée. Pas assez cul ? On remplace des dialogues par des séquences de partouze ou des gros plans de cunnilingus… qui tombent comme un cheveu sur la soupe. «À cette époque, il n’existe pas vraiment de “director’s cut”, s’amuse Jacques Spohr. Les distributeurs faisaient les films à leur sauce.» Pour les collectionneurs, tout le plaisir est de retracer le destin aléatoire de ces œuvres, dont il existe parfois autant de versions que de pays de distribution.

Au LUFF, Jacques Spohr se réjouit de découvrir une version inédite d’un des films qu’il a sélectionnés : la Fille à deux places (1973), «témoin le plus frappant de la maltraitance que pouvaient subir ces œuvres grecques lors de leur exportation», ainsi que le formule Julien Bodivit, le directeur artistique du LUFF. Sera également projeté l’Insatiable (1966), victime exemplaire de ces «méthodes douteuses pratiquées par les exploitants de l’époque, signale Bodivit. Les exploitants qui créaient au mieux – sans le vouloir – de nouvelles œuvres, au pire, matière à fascination.» Chaque film sera présenté par Jacques Spohr, occasion rare de rencontrer celui par qui un pan de l’histoire culturelle de la Grèce est maintenant restauré.

L'Insatiable (1970) d'Omiros Efstratiadis

 

 

 

L'Insatiable dans Les 400 culs puis au Fanzinarium

Pour la sortie de L'Insatiable n°6, une rencontre est organisée jeudi 21 mars de 18h30 à 20h30 au Fanzinarium , 48 rue de Vignoles dans...